La Guerre du Golfe a vu la consécration de la puissance aérienne. Valéry Rousset revient au travers d’un ouvrage ne négligeant aucun des aspects techniques ou théoriques, sur les circonstances et le déroulement d’un conflit dont on peut raisonnablement affirmer qu’il est à la jonction entre deux mondes, celui des guerres de la Guerre froide et celui des guerres du XXIe siècle.
La deuxième Guerre du Golfe aura vu la consécration par la coalition réunie contre l’invasion irakienne du Koweït, de la puissance aérienne. Paradoxalement, alors que les têtes pensantes occidentales entrevoyaient l’espoir d’un conflit où l’on ne puisse s’investir que dans les airs, elle en montra aussi les limites. Valéry Rousset revient au travers d’un ouvrage finement détaillé, ne négligeant aucun des aspects techniques ou théoriques, sur les circonstances et le déroulement d’un conflit dont on peut raisonnablement affirmer qu’il est à la jonction entre deux mondes, celui des guerres de la Guerre froide, celui des guerres du XXIe siècle.
Penser la guerre aérienne comme instrument militaire décisif
La grande particularité de la deuxième guerre du Golfe – si l’on considère que la guerre Iran-Irak de 1980 à 1988 en fut la première – aura été l’usage primordial et intensif par les forces coalisées des forces aériennes. C’est avant tout la peur d’un conflit long et lourd à supporter pour les finances occidentales comme pour ses opinions publiques qui permit de penser une guerre, et même une victoire, uniquement par les cieux. Sans nier l’importance de mettre en place tout un dispositif à terre pour supporter cette aviation les coalisés ont cru pouvoir obtenir la victoire sans projeter d’hommes sur le terrain. L’aviation bénéficiait déjà aux États-Unis et au sein de l’OTAN d’un regain d’intérêt quant à ses capacités en matières offensives depuis le début des années 80. Lors du déclenchement de l’opération Desert Storm c’est le colonel John Warden III qui aura, de par sa pensée stratégique comme de par un rôle concret joué dans la planification, un impact énorme sur le déroulement des opérations avec sa théorie des cinq cercles. Il démontre dans son ouvrage The Air planning : Planning for Combat qu’on peut paralyser un ennemi par la seule force aérienne via une attaque sélective de certains points névralgiques au sein de chaque cercle constituant l’entité ennemie. Appliquée à l’Irak cette théorie post-clausewitzienne des centres de gravité stratégique consistait à considérer autour du pouvoir, cercle central, les infrastructures et vecteurs sur lesquels reposaient, du plus proche au plus éloigné du cercle central : les énergies et industries, les voies de communication, le soutien populaire et enfin les forces déployées.
Le déploiement d’un panel technique et technologique hors du commun
Cinq nations participent à l’effort aérien : la France, le Canada, la Grande-Bretagne et l’Italie en plus des États-Unis, de loin les plus gros contributeurs. Valéry Rousset apporte, avec une minutie sans cesse renouvelée au fil de l’ouvrage, beaucoup de soin à présenter précisément le matériel utilisé dans le cadre de ce conflit tant sur le plan technique que technologique.
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Il est en effet nécessaire de saisir que l’opérabilité de campagne aérienne alliée est permise par la pratique de modes organisationnels innovants et l’usage d’avantages technologiques certains. Au sol par exemple, l’usage très bénéfique fait du positionnement GPS par la coalition, qui fit cruellement défaut à Saddam Hussein, fut un avantage précieux. Mais c’est dans les airs que furent mises en place le plus d’innovations techniques, par exemple les capacités spatiales sont à cette occasion convoquées massivement et permettent de parler, en l’occurrence à juste titre, de ce conflit comme de la première guerre de l’ère spatiale. Pendant Desert Storm 12 satellites sont directement utilisés par la coalition à des fins de renseignement et pour la première fois des capteurs numériques furent utilisés avec les modèles les plus avancés de la famille Key Hole à très haute résolution KH – 11. Le déploiement d’avions 6 U-2R et 6TR-1A est, parmi de nombreux autres, un fait notable. La force de Valéry Rousset est de réussir à nous faire naviguer aisément dans un monde particulièrement chargé de noms et acronymes dont la technicité pourrait effrayer, sans s’en dessaisir de sa complexité.
Le succès mitigé de l’attaque du 17 janvier – ou l’échec d’une victoire décisive par les airs
La nuit du 16 au 17 janvier trois frappes coordonnées d’hélicoptères de combat de bombardiers furtifs (les célèbres F-117) et de missiles de croisière firent place à une vague de série d’attaques aériennes coordonnées, combinant finement attaques par brouillages et destructions ciblées. À cela les forces irakiennes ne répondirent que mollement et firent preuve d’immobilisme, on comprendra à l’issue du conflit que Saddam estimait pouvoir encaisser et attendre que la tempête passe. Les pertes minimales côté allié et dommages conséquents côté irakien ne permirent cependant pas la victoire aérienne décisive, ce que comprirent les généraux Schwarzkopf et Horner qui prévoyaient déjà une guerre longue.
Le résultat attendu de cette phase tait l’effondrement « progressif et systématique de l’ensemble du régime de Saddam Hussein »[1]. Il n’en fut rien, ce fut le premier échec. Le second fut que le conflit allait durer et qu’il devint une certitude qu’on ne pouvait uniquement par l’action ciblée des forces aériennes combinées à leurs impacts matériels et psychologiques déloger un agresseur de territoires occupés. Il fallait envoyer les forces armées au sol. A posteriori l’importance des armées terrestres fut réduite à peu de chose et le sujet fait encore débat. Valéry Rousset montre ici en quoi leur présence fut nécessaire.
À terme, au-delà des perceptions bâties sur des mirages Valéry Rousset s’attache ici à brosser avec précision, en s’appuyant des données étayées, le portrait d’un conflit particulier dont la compréhension en profondeur s’avère nécessaire pour qui entend comprendre les guerres actuelles.
[1] Ordre d’opération de Desert Storm, septembre 1990, cité p. 249, chap. XIV